Photo et journalisme
Vous souhaitez rendre vivant un portrait de votre entreprise, de votre association, de votre collectivité ? Raconter son histoire, sa vocation, ses projets, ses chantiers, décrire les femmes et les hommes qui la composent ? Je vous propose cet exemple ci-dessous.
Distribuer une marque nationale de produits laitiers fabriqués par une quarantaine de fermiers disséminés sur tout le pays, il fallait y penser. La réussite éclatante du réseau des éleveurs bio et locaux « Invitation à la Ferme » renouvelle les codes de la transformation et de la commercialisation et pourrait bien, demain, redistribuer les cartes de la coopération agricole.
Au départ, comme le dit joliment Jean-Michel Péard, « on a bien failli mettre la cabane sous le chien ». Traduire : renoncer et plier boutique. Mais parce qu’il possède un solide sens des affaires et celui d’un humour à toute épreuve, cet agriculteur venu tardivement à la terre n’a jamais rien lâché. Il a même construit, à force d’abnégation, d’investissement et de travail en réseau, un petit empire dans le monde grandissant de la bio ; un monde où se faire une place au soleil des rayons de la distribution, grande ou petite, relève plus de la gageure que de l’évidence.
Le réseau « Invitation à la Ferme », né en 2015, ce sont aujourd’hui 44 éleveurs laitiers répartis sur la France, qui produisent des tonnes de yaourts, fromages, crèmes dessert et glaces bio. Des produits fabriqués dans des fermes aux histoires et aux parcours très différents, mais avec un cahier des charges commun qui porte autant sur les conditions d’élevage que la transformation. Fiers de leur réussite, les éleveurs rassemblés viennent cette année de doubler les ventes d’un concurrent industriel de yaourts bio (non, pas de nom !) bien placé dans les supermarchés.
Chaque éleveur situé sur le territoire national s’engage à produire selon un cahier des charges commun. Les produits portent le même dossard assorti du nom de l’agriculteur et de sa ferme, et se retrouvent à moins de 80 km de son exploitation.
Dans le domaine agro-alimentaire, on s’était habitués à deux modèles d’un genre classique : soit on a affaire à des usines qui transforment en un lieu unique des produits destinés à être acheminés partout et, dans ce cas, la collecte des ingrédients peut provenir de loin, voire de très loin ; soit on trouve des producteurs réunis sur un même territoire d’appellation, comme ceux du comté, du roquefort ou du poulet de Bresse et, dans cet autre cas, la capacité de production reste limitée au territoire concerné.
Avec le réseau et la marque « Invitation à la Ferme », un modèle hybride et innovant propulse de nouveaux fermiers en haut de l’affiche : chaque éleveur situé sur le territoire national s’engage à produire selon un cahier des charges commun. Les produits portent le même dossard assorti du nom de l’agriculteur et de sa ferme, et se retrouvent à moins de 80 km de son exploitation, dans les rayons des magasins bio spécialisés et des supermarchés, ainsi que dans les cuisines de la restauration collective… dès lors que les collectivités ont le nez de se tourner vers cette nouvelle filière, comme la ville de Nantes. Une très bonne idée car, en termes de prix, « Invitation à la Ferme » parvient à s’aligner sur la concurrence sans trop de difficulté. Mieux : elle résiste aux spéculations du marché, plutôt volatile en cette année 2022.
C’est tout le génie de l’esprit coopératif que d’avoir su mettre en place des leviers d’économie et de simplification. Au lieu de se débattre dans des démarches administratives chronophages et une gestion comptable souvent pénible, les éleveurs réunis et rompus à l’intelligence collective ont créé une plate-forme qui mutualise les besoins et les moyens. « On a trois ingénieurs qualité capables de se rendre de ferme en ferme, une équipe de commerciaux et de responsables marketing, des administratifs qui travaillent pour tout le monde, précise Jean-Michel Péard. On a aussi créé une centrale d’achat pour acheter tous nos pots, cartons et emballages, à des prix logiquement compétitifs. En 2022, ce ne sont pas moins de quatre millions d’euros qu’on a investis en commun. »
Pour Léo Colas, éleveur mayennais de 27 ans, cette aventure des yaourts, fromages blancs et autres riz au lait bio n’aurait pas eu lieu sans l’élan du réseau fermier. « Avec mes parents, on hésitait à se lancer dans des centaines d’heures de travail supplémentaires pour créer un beau produit qui n’aurait pas forcément rémunéré. La force d’Invitation à la Ferme, c’est de bénéficier d’un partage d’expériences et d’une politique de transformation et d’achats en commun. » Pour rejoindre le réseau, la ferme conventionnelle de Léo est passée en bio, condition sine qua non : un disciple de plus pour l’écologie.
Le réseau a permis de créer, dans les fermes constituées en un collectif dynamique, près de 150 emplois depuis sa création.
En termes de bio, justement, le réseau génère ce qu’il faut d’externalités positives sur le milieu. Parce que le cahier des charges est exigeant – pas de robot de traite, un minimum de 70 % de pâturage sur la ferme et au moins 3 000 m² par bête, la présence de haies -, le bilan carbone du réseau est moins préoccupant qu’ailleurs. On y prend aussi plus soin des éleveurs, en fixant collectivement les prix d’achat. En ce moment (printemps 2022, NDLR), la tonne de lait se négocie à 575 €, quand le lait conventionnel (et même bio, dans un contexte de surproduction et de mévente) n’atteint pas les 400 €. Si on ajoute que le réseau a permis de créer, dans les fermes et les étages de la pyramide, près de 150 postes de salariés depuis sa création, on mesure combien l’initiative de Jean-Michel Péard et de trois fermiers du pays nantais s’est révélée perspicace.
Au fond, c’est peut-être parce qu’il ne venait pas de l’agriculture que ce paysan high-tech de Blain a pu lancer cette aventure collective. Car avant de devenir éleveur-transformateur, Jean-Michel était un commercial bien noté du groupe Mars, fabricant mondial de croquettes pour chiens et de barres chocolatées bien connues. Arrivé à la quarantaine, et sous le regard avide d’avenir de ses deux jeunes enfants, il s’est demandé s’il n’y avait pas mieux à faire. Après avoir essuyé les plâtres avec son frère en créant leur ferme au début des années 2000, et surtout après avoir compris que le concept de yaourts en pots de verre consignés était pertinent mais très peu goûté par la grande distribution, l’agriculteur a fini par trouver une cohérence dont profitent à présent l’ensemble des acteurs d’une filière innovante, efficace et capable de générer un autre bonheur intérieur brut sur les prairies.
Vous êtes intéressés par la démarche, ouverte également aux collectivités ?
Jean-Michel Péard : 06 26 24 03 76. Site Internet : invitationalaferme.fr
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